Étretat et la Normandie si chères à Benoît Duteurtre, trop tôt disparu
Benoît Duteurtre, né à Sainte-Adresse près du Havre, est décédé brutalement, victime d'une crise cardiaque, le 16 juillet 2024 dans sa maison de vacances dans les Vosges. Son écriture et sa voix à l'antenne (entre autres sur France Musique pour "Étonnez-moi Benoît") vont désormais nous manquer.
J'avais eu l'occasion de l'interviewer sur Radio Grand Large en 1987.
C'était au Havre à l'occasion de la sortie de son
livre : "Les vaches". Le jeune homme faisait ses premiers pas en qualité d'écrivain et apprenait à affronter les questions des journalistes.
Benoît Duteurtre a fait ensuite le chemin que l'on sait. Je l'ai suivi journaliste dans l'Idiot international de Jean-Edern Hallier. Puis écrivain et animateur de l'émission Étonnez-moi Benoît,
le samedi (11h-12h30) sur France musique, commentateur également du
Concert du Jour de l'an à Vienne.
En février 2023, par le plus grand des hasards, j'avais redécouvert dans
ma bibliothèque un de ses livres consacré à sa jeunesse à Étretat : "Les pieds dans l'eau" (Folio). À peine la dernière page tournée, j'avais ressenti le besoin de consacrer quelques lignes à ce livre sur ce blog.
Il faut dire que j'ai vécu plusieurs années dans cette même partie de Normandie évoquée par l'auteur : Étretat d'abord où j'ai habité non loin pendant
de nombreuses années. Dans ce Pays de Caux, cher à Guy de Maupassant. Le
Havre ensuite où j'ai été lycéen. Et où encore, après un détour par
Rouen, j'ai exercé en qualité de journaliste (Paris-Normandie, Le Havre
Presse et Le Havre Libre).
Le Pays de Caux de Maupassant
Comme la durée de vie d'un livre est illimitée, je conseille vivement à
tous les amoureux de la Normandie (et aux autres) de lire ou relire cet
hommage – d'une belle facture littéraire – consacré à ce charmant petit coin aux falaises légendaires.
"Les pieds dans l'eau" constitue un régal pour l'esprit. On se laisse vite prendre par la petite musique de l'auteur, arrière-petit-fils du Président René Coty. Les rires des cousines, les grandes assemblées à la villa La Ramée à Étretat face à la Manche, le bruit tantôt apaisant tantôt agité des vagues, les animations locales désuètes, les jeux sans conséquences sur les galets.
Le tout dans un univers feutré. À l'ombre tutélaire de l'arrière-grand-père (figure familiale et nationale intimidante), tendrement secondé par Germaine, une épouse admirée par l'opinion publique de l'époque. Un couple respecté par une descendance sage et respectueuse des traditions. L'éducation catholique étant passée par là.
Étretat, la bourgeoise
Les habitués d'Étretat, petite cité aux villas bourgeoises occupées l'été par des Parisiens huppés préoccupés par leur entre-soi, reconnaîtront dans cet ouvrage l'atmosphère surfaite des années 70. Celle d'une station balnéaire qui a toujours rivalisé avec Deauville, plus au sud, plus moderne et plus people. Étretat préférant son passé et ses célébrités d'autrefois : Maupassant, Leblanc, Courbet, Boudin, Monet, Offenbach, Gide...
Le Havre, l'ouvrière
Située à trente minutes, Le Havre fut très longtemps une ville ouvrière dirigée par le parti communiste. Le Havre avec ses cabanes de plage blanches alignées comme des soldats face à la mer, ses après-midis d'été plus ou moins ensoleillés, ses touristes et ses autochtones hésitant à mettre les pieds dans l'eau fraîche. Mais moins froide qu'à Étretat assure l'auteur. Avec, pour seule animation, le ballet incessant au large des tankers transportant le pétrole venus du Proche-Orient.
Saga familiale
Le regard critique de l'auteur n'épargne pas ses contemporains normands. L'occasion pour lui – avec l'âge – d'une introspection édifiante. Mais si Benoît Duteurtre a été attiré très jeune par la vie parisienne, la maturité lui a toujours fait regarder la Normandie avec complaisance.
Paris, l'Élysée, Le Havre, Étretat. Ce livre raconte aussi une saga familiale. 1954-1958, la famille Coty à l'Élysée sous les feux de la rampe puis le temps qui efface tout. Le basculement — accéléré par
Mai68 — d'une époque à une autre. Des descendants revenus au fil des années à la banalité du quotidien.
Une écriture élégante qui effleure une foultitude de plaisirs minuscules chers à l'auteur. Parmi lesquels, je retiendrai le vin blanc-crevettes partagé entre habitués à Étretat, les périssoires et les balades sur le Perrey. Des instants fugaces qui construisent une jeunesse et bâtissent une existence tout entière. Une belle invitation à (re)découvrir la Normandie.
Ce livre a obtenu à sa sortie deux belles distinctions méritées : Le Prix des Écrivains et le Prix de Saint-Émilion.
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