Livres : La Normandie de Benoît Duteurtre

Comment ai-je pu passer à côté de ce petit bijou littéraire paru en 2008 ? Fort heureusement, la durée de vie d'un livre est illimitée.
Les moments de désœuvrement au cœur de l'hiver ont ceci d'utile qu'ils obligent à fouiller dans sa bibliothèque à la recherche d'un bon livre. Et il a fallu que je tombe sur celui-ci : Les pieds dans l'eau (Folio) de Benoît Duteurtre. Ouvrage acheté en son temps, mais oublié sur une étagère.

Le Pays de Caux de Maupassant

J'avais pourtant deux raisons pour ne pas retarder la lecture de cet opus. La première relève du fait que j'ai vécu précisément dans cette partie de Normandie évoquée dans l'ouvrage. Étretat où j'ai habité non loin pendant de nombreuses années. Dans ce Pays de Caux cher à Guy de Maupassant. Puis Le Havre où j'ai été lycéen. Et où encore, après un détour par Rouen, j'ai exercé en qualité de journaliste (Paris Normandie, Le Havre Presse et Le Havre Libre).
La deuxième raison qui n'aurait pas dû retarder ma lecture concerne l'auteur Benoît Duteurtre que j'avais eu l'occasion d'interviewer sur Radio Grand Large en 1987. C'était justement au Havre à l'occasion de la sortie de son deuxième livre : Les vaches. Le jeune homme faisait ses premiers pas en qualité d'écrivain et apprenait à affronter les questions des journalistes.  

Après donc avoir patienté quinze ans sur une étagère de la bibliothèque cet ouvrage a enfin pris l'air... Depuis Benoît Duteurtre a fait le chemin que l'on sait. Je l'ai découvert journaliste dans l'Idiot international de Jean-Edern Hallier. Puis écrivain, animateur de l'émission Étonnez-moi Benoît, le samedi (11h-12h30) sur France musique, commentateur du Concert du Jour de l'an à Vienne et candidat — momentanément recalé — à l'Académie française.

Étretat la bourgeoise, Le Havre l'ouvrière

Revenons donc à ce petit bijou. Même si le titre Les pieds dans l'eau manque — à mon avis — d'attractivité pour le lecteur distrait que je suis, son contenu n'en constitue pas moins un régal pour l'esprit. On se laisse vite prendre par la petite musique de l'auteur, arrière-petit-fils du Président René Coty. Les rires des cousines, les grandes assemblées à la villa La Ramée à Étretat face à la Manche, le bruit tantôt apaisant tantôt agité des vagues, les animations locales désuètes, les jeux sans conséquences sur les galets.
Le tout dans un univers feutré. À l'ombre tutélaire de l'arrière-grand-père, figure nationale intimidante, tendrement secondé par Germaine, une épouse admirée par l'opinion publique de l'époque. Un couple respecté par une descendance sage et bien élevée. L'éducation catholique étant passée par là.

Étretat. Les habitués de cette petite cité aux villas bourgeoises, occupées l'été par des Parisiens huppés préoccupés par leur entre-soi, reconnaîtront dans ces lignes l'atmosphère surfaite des années 70. Celle d'une station balnéaire qui a toujours rivalisé avec Deauville, plus au sud, plus moderne et plus people. Étretat vivant sur son passé et ses célébrités d'autrefois : Maupassant, Leblanc, Courbet, Boudin, Monet, Offenbach, Gide...
Le Havre à trente minutes de là, fut une ville ouvrière très longtemps communiste. Le Havre avec ses cabanes de plage blanches alignées comme des soldats face à la mer, ses après-midis d'été plus ou moins ensoleillés, ses touristes et ses autochtones hésitant à mettre les pieds dans une eau trop fraîche.  Mais moins froide qu'à Étretat assure l'auteur. Avec, pour seule animation, le ballet incessant au large des tankers remplis de pétrole venus du Proche-Orient.

Saga familiale

Le regard critique de l'auteur n'épargne pas ses contemporains normands. Mais si Benoît Duteurtre a été attiré très jeune par la vie parisienne, la maturité lui fait regarder désormais la Normandie avec complaisance. L'occasion aussi pour lui – avec le recul – d'une introspection édifiante.
Paris, l'Élysée, Le Havre, Étretat. Ce livre raconte aussi une saga familiale. 1954-1958, la famille Coty à l'Élysée sous les feux de la rampe puis le temps qui efface tout. Le basculement — accéléré par Mai68 — d'une époque à une autre. Des descendants revenus à la banalité du quotidien.

Une écriture élégante qui effleure les plaisirs minuscules chers à l'auteur. Parmi lesquels, je retiendrai le vin blanc-crevettes partagé entre habitués à Étretat, les périssoires et les balades sur le perrey. Des plaisirs minuscules qui construisent une jeunesse et bâtissent une existence tout entière. Une belle invitation à découvrir la Normandie d'hier de Benoît Duteurtre.
Enfin comment ne pas aimer ce livre quand on sait qu'il a obtenu deux prix sympathiques : Le Prix des Écrivains et le Prix de Saint-Émilion.





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