"Les ombres des Mohicans" : le natsukashii de Philippe Lacoche

Vies croisées, trajectoires brisées ou sur le point de l'être, univers interlope, mais toujours une soif de vivre inextinguible.
Ex-fan des seventies, Philippe Lacoche évoque dans son dernier roman avec une nostalgie heureuse (natsukashii en japonais) le sujet existentiel qui finit un jour ou l'autre par hanter chacun d'entre nous : que reste-t-il de nos rêves, de nos amours et de nos amitiés d'autrefois ? 

À la vitesse d'une Motobécane AV88

« Les ombres des Mohicans"(*) pose son décor dans le département de la Drôme, habituellement apprécié pour ses vins et son soleil. C'est ici à l'heure des vendanges que les heurs et malheurs du passé remontent à la mémoire de Brian, un joli blond au caractère placide. À la vitesse modérée d'une Motobécane AV88 qu'il enfourche alertement en pleine nuit malgré l'orage. Une dérisoire mobylette bleue qui le mène vers son destin.


Entre Picardie et Paris

Engagé sur une route départementale, le cyclomotoriste se souvient des ombres du passé. Tandis que les kilomètres défilent, les morts et les vivants se côtoient dans ses souvenirs. Visions lointaines et fugaces d'êtres atypiques éparpillés entre la Picardie et Paris. Toute une flopée de copains et de copines  – dont certains disparus – qui l’accompagnent comme dans un ballet contemporain chorégraphié sur une musique signée des Stones, de Kevin Ayers,  des Who ou encore des Doors.  Il y a Clara, Katia, Louise, Mauricette, Brian, Jean-Pierre, Robert, Jean-Bernard, Maurice, Bitume, Daniel, Marc, Tigrou et les autres.

Quand on connaît la littérature de Philippe Lacoche, on se dit qu'il doit bien encore une fois se planquer entre les lignes. De livre en livre, il ne cesse de se raconter et de nous raconter une Picardie d'hier et d'aujourd'hui. Celle de ses ancêtres, de ses amis de jeunesse et du présent.  Alors on l'imagine dans le personnage de Brian bien sûr mais aussi de Pierre Chaunier, le journaliste et guitariste passionné par la littérature d'Henry Miller. Un gars qui a grandi comme l’auteur à Tergnier. Un Picard qui a les pieds ancrés sur sa belle terre de Picardie malheureusement souillée par le sang et les horreurs des guerres.

Toute vie vaut la peine d'être vécue

Le même lecteur attentif pensera également distinguer Philippe Lacoche dans un autre personnage, Sined Toredid, écrivain et reporter dans un quotidien de gauche. Sined Toredid, autrement dit l'anagramme de Denis Diderot, philosophe et apôtre d'une morale ouverte sans préjugés et libre penseur... 
On se dit en refermant ce livre que nous avons tous un Pierre Chaunier, un Sined, une Clara, un Tigrou, un Marc ou une Mauricette cachés au fond de notre mémoire... Des ombres parmi lesquelles nous nous étions glissés jadis et qui des décennies plus tard nous rendent fiers de les avoir connues. De pouvoir dire j’y étais et finir par admettre que toute vie vaut la peine d'être vécue.

À noter que "Les ombres des Mohicans" fait partie de la première sélection pour le Prix Renaudot 2023 qui sera décerné à l'automne.

* Les ombres des Mohicans est paru aux Éditions du Rocher


 


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